
Dans le paysage photographique contemporain, Romain Berger impose une signature visuelle singulière, flamboyante et libre. Son travail, souvent associé – à tort – à celui du duo iconique Pierre et Gilles, mérite une lecture bien plus nuancée. Car si certaines thématiques, comme l’exploration des identités LGBTQIA+ ou le goût pour la mise en scène, peuvent inviter à un rapprochement rapide, la profondeur esthétique et la démarche artistique de Berger s’inscrivent dans un tout autre territoire.
Un univers visuel baroque et queer
Les photographies de Romain Berger sont des tableaux modernes aux codes volontairement exagérés, parfois kitsch, toujours théâtraux. On y retrouve une esthétique queer revendiquée, flirtant avec le baroque, l’humour, l’érotisme et le surréalisme. Berger travaille la lumière, les couleurs saturées, les matières brillantes, comme pour mieux souligner la dimension fantasmatique de ses images. Chaque composition est pensée comme un micro-récit, où les corps, les regards et les symboles jouent une partition dense, à la fois poétique et politique.
Mais contrairement à Pierre et Gilles – qui allient peinture et photographie dans un cadre souvent mythologique ou religieux et dont les œuvres se caractérisent par un certain fétichisme de l’idéalisation –, Romain Berger choisit une approche plus brute, plus directe, où le second degré est omniprésent. Formé à la faculté de cinéma, il nourrit également son regard d’un imaginaire narratif et d’un sens aigu de la mise en scène. Loin des saints et des marins idéalisés, Berger donne à voir des personnages queer ancrés dans leur époque, parfois vulnérables, parfois ironiques, toujours puissamment incarnés.
Entre Bidgood et Fassbinder : une filiation assumée
S’il fallait inscrire Romain Berger dans une lignée artistique, c’est sans conteste du côté de James Bidgood que le parallèle prend tout son sens. Bidgood, pionnier de la photographie homoérotique mise en scène dans les années 1960-70, est célèbre pour son film culte Pink Narcissus et son univers saturé de fantasmes camp, de décors faits main et de rêveries éveillées. Comme lui, Romain Berger travaille dans une esthétique du bricolage luxueux, où le faux devient sublime, et où la mise en scène devient un outil d’affirmation identitaire et d’évasion politique.
On peut également évoquer, de façon plus cinématographique, l’influence diffuse de Querelle de Rainer Werner Fassbinder, dont l’atmosphère de décor artificiel, les couleurs exacerbées et l’érotisme codifié résonnent parfois avec certaines séries de Berger. Cette filiation trouve un écho dans le goût pour l’artificialité assumée, la théâtralité des poses et la puissance du désir mis en scène.
Des références multiples et un regard contemporain
Chez Romain Berger, la photographie devient un espace de performance, de provocation douce et d’émancipation esthétique. Les clins d’œil à l’imagerie pop, aux icônes queer, aux codes du cabaret, du porno gay vintage ou des magazines de mode se croisent et se télescopent dans une même image. On pense aussi, par instants, aux excès colorés de David LaChapelle, ou encore aux univers graphiques des affiches de Tom of Finland, dont Berger détourne l’héritage hypermasculin pour y injecter humour et tendresse.
Loin de toute nostalgie, il capte les tensions de son époque. À travers ses modèles – souvent issus des communautés LGBTQIA+, parfois anonymes, parfois figures engagées –, il donne à voir des identités multiples, des corps hors normes, des masculinités réinventées. Son objectif est inclusif, joyeusement irrévérencieux, parfois ironique, toujours attentif à la singularité de ses sujets.
Il ne s’agit pas pour lui de figer des archétypes ou de magnifier des stéréotypes, mais de créer des scènes vivantes et vibrantes, qui interrogent autant qu’elles célèbrent. Le regard de Romain Berger, en ce sens, est profondément politique. Il ne recherche ni l’unanimité ni le consensus esthétique, mais la liberté de ton et de représentation.